Remixer la mixité, penser et agir autrement
Fermement engagé en faveur de l’égalité professionnelle, le groupe Up soutient l’ONU Femmes à l’occasion du 8 mars, et se mobilise pour un avenir durable et un avenir égal !
Pour interpeller et mobiliser les collaborateurs, le groupe Up donne la parole, lors d’une conférence, à Patrick SCHARNITZKY, docteur en psychologie sociale, maître de conférences des universités depuis 15 ans et également Directeur associé et expert inclusion et mécanismes psychosociaux au sein du cabinet AlterNego.
Bonjour Docteur SCHARNITZKY, dans le cadre de la conférence sur le thème “Remixer la mixité” déployée chez Up, vous mettez l’accent sur la mixité. En quoi cela est plus pertinent que de parler d’égalité Femmes / Hommes, selon vous ?
Il faut tout d’abord noter que le sujet de l’égalité Femmes / Hommes est assez récent et les Entreprises ont commencé à réellement s’y intéresser quand la législation les y ont contraint. La loi portant sur la lutte contre la discrimination date de 2001. Les entreprises se sont alors approprié le sujet par peur de la sanction, dans une posture de défense des droits des Femmes. Elles n’ont pas mené de réflexions de fond, de façon proactive, en s’interrogeant notamment sur la notion de mixité. Celle-ci a été effleurée d’un point de vue législatif en 2016, avec la loi imposant la parité au sein des conseils d’administration.
Or la réalité sur le terrain se révèle plus complexe : Certains hommes peuvent se sentir exclus, voire culpabilisés ou entretenir le fantasme de remplacement (“Dois-je porter une jupe pour être reconnu ?”). Certaines femmes peuvent refuser une approche de « rattrapage » qui les stigmatise alors qu’elles ne se sentent pas inférieures aux hommes et veulent être reconnues pour leurs compétences. Femmes et hommes peuvent être excédés de voir que le sujet est à l'agenda des entreprises comme une injonction.
C'est un tort de penser d’emblée que toutes les femmes s’autocensurent et qu'elles manquent de confiance en elles. A l’inverse, il est surprenant de constater, dans le cadre de l’accompagnement des entreprises, que beaucoup d'hommes déclarent s’autocensurer. Certains sont même enfermés dans un phénomène de masculinisation : ils jouent un rôle pour entrer dans des cases, répondre à des codes (se montrer fort, masculin, affirmé) et être accepté par la tribu.
Le sujet de la parentalité est également assez symptomatique. Avec 59% de divorce et 25% de garde alternée aujourd’hui, de nombreux hommes ont leurs enfants 1 semaine sur 2. Et pour eux les questions de parentalité et d'équilibre des temps de vie sont un sujets tout aussi importants que pour les femmes.
De la même façon, s’il existe des quotas de femmes dans les métiers d'hommes, l’inverse devrait être possible. Dans certains métiers supports (RH, marketing, médical, etc.), il y a 80% de femmes. Pourquoi ne pourrait-il pas avoir des quotas d'hommes pour ces métiers-là ?
Cela fait 15 ans maintenant que nous constatons que les entreprises sont enfermées dans des “sujets de femmes”, pensant bien faire. Remixer la mixité, c’est donc penser la question de l’égalité Femmes / Hommes de façon plus large et plus équitable que la mise en place de dispositifs de défense des Femmes.
L’accompagnement d’une entreprise pour éveiller les consciences est un premier pas. Comment les entreprises peuvent elles aller plus loin ?
Notre cabinet intervient auprès des entreprises à 3 niveaux.
La sensibilisation, tout d’abord, sous forme de conférence d'une heure et demie, mais aussi par le biais d’ateliers et de formations pour les managers et les RH (sur le sexisme ordinaire, le recrutement discriminatoire par exemple).
Nous sommes également en capacité de délivrer des missions de conseil, pour accompagner la stratégie globale de l’entreprise en matière de diversité et d’inclusion : communication, coaching des dirigeants, réflexions sur les process RH, accompagnement des réseaux, préparation de prises de parole au sein du comex pour faire exister et vivre le sujet.
Enfin, nous proposons de réaliser un diagnostic, permettant aux entreprises de faire un état des lieux et d’identifier des pistes de progrès.
Ce diagnostic passe par des mesures quantitatives, bien au-delà de la simple donnée de répartition Femmes / Hommes au sein des conseils d’administration : nombre de femmes dans chaque métier, taux de mixité de chaque métier, taux de mixité dans les écoles dans lesquelles on recrute, écarts de salaires, répartition des hommes et des femmes dans les formations, contenus des évaluations.
Et cela peut aller très loin, par exemple, une entreprise ne s’était pas rendu compte que lors des évaluations annuelles, à compétences égales, les femmes avaient des notes inférieures aux hommes. Or cette note était prise en compte dans le calcul des primes. Cela générait donc des écarts de salaire, à compétences égales.
Il y a ensuite les mesures qualitatives, visant à évaluer le ressenti et la perception des salarié(e)s. Cela peut prendre la forme d’enquêtes de petits groupes / de questionnaires permettant de mesurer le ressenti des hommes et des femmes sur divers sujets : sentiment de discrimination, sentiment d'auto-censure, sentiment d'être reconnu(e) pour ses compétences. Mesurer le ressenti des salariés à un instant T est absolument nécessaire.
Cette démarche de mesure qualitative est de plus en plus courante : Certaines entreprises prévoient des questions spécifiques dans leur baromètre annuel. D’autres réalisent des baromètres diversité & inclusion dédiés à la question de la mixité femmes/hommes, tous les 2 ans par exemple.
Le sujet de la mixité est très lié à la façon dont est pensée l’entreprise, en tant qu'organisation. Cela dépasse l’individu et son propre conditionnement. Au-delà de la prise de conscience individuelle, comment le changement peut-il s’opérer au niveau de l’entreprise, au niveau collectif ?
Pour faire bouger les choses il faut les faire bouger à tous les étages, en même temps et de façon très consonante. Sans actions simultanées et très consonantes, cela ne peut pas fonctionner.
Un politique de mixité réussie, c'est une politique qui engage 4 parties prenantes distinctes.
La gouvernance > Embarquer les dirigeants pour qu’ils y croient, qu’ils portent une parole, qu’ils soient sponsors, exemplaires et qu’ils accordent des budgets. C’est une réalité.
Les process RH > Comment mettre en place des process RH qui ne soient pas discriminatoires (sourcing, détection des talents).
Le management > Former les managers aux agissements et propos sexistes entre autres. S’assurer également que tous les managers ont accès à ces formations.
La communication > Déployer une communication inclusive, autant en interne qu’en externe, c'est à dire une communication qui s'adresse autant aux femmes qu’aux hommes (éléments de langage, messages, ton, visuels).
On peut tout de même dire, que même si les choses sont encore perfectibles, les avancées sociétales s’accélèrent. En témoigne le mouvement “#MeToo”, qui démontre que la parole des femmes se libère, qu’elles se sentent plus en confiance, plus armées ou plus légitimes à pouvoir s'exprimer. Il y a une prise de conscience que certains mécanismes sont à repenser.
Les choses ont bougé bien sûr, des progrès considérables ont été faits. Mais il y a encore du chemin à faire, il faut continuer d’avancer et les choses ne vont jamais assez vite.
Malheureusement, encore aujourd'hui, si on mesure les salaires à compétences égales, en neutralisant l'ancienneté, le diplôme et toutes les variables, et bien, on se rend compte qu'il subsiste un écart de salaire entre les femmes et les hommes, qui se situe aux alentours de 10%. Cela veut dire qu'aujourd'hui, toutes choses étant égales par ailleurs par rapport à un collègue masculin, une femme, à partir du vendredi midi, travaille gratuitement.
Et ce n’est pas parce que cet écart de salaire est passé de 20%, il y a 20 ans, à 10% aujourd’hui, qu’il faut s'arrêter là. Le but est l’égalité. Il n’y a aucune raison logique qu’une femme, à compétences égales, perçoive un salaire inférieur à celui d’un homme.
Et dans la manière d’atteindre ce résultat, femmes et hommes doivent pouvoir réinventer ensemble une société sur une approche différente de l’opposition et de la revanche. Remixer la mixité, c’est éviter l’impasse des hommes contre les femmes et faire en sorte que tous travaillent ensemble dans l’entreprise.
Comment se positionnent les autres pays européens sur le sujet de la mixité ? Quels sont les pays les plus avancés et/ou matures ?
En Europe, il y a une situation assez intéressante, puisqu’il y a un vrai axe nord-sud. Dans les pays du Nord de l’Europe, des mesures ont été prises très tôt et l'égalité entre les femmes et les hommes est meilleure. Cela se perçoit également au niveau des stéréotypes, beaucoup moins nombreux et moins ancrés. Plus vous descendez dans le sud de l’Europe, plus les stéréotypes et le sexisme sont forts.
En Suède, Finlande ou Danemark, les logiques de quotas ont été intégrées il y a plus de 60 ans. Autre exemple très significatif : en Suède, 1 an de congé parental est accordé aux deux parents. Ils peuvent se répartir ces 12 mois comme ils le souhaitent, prendre leur congé parental en même temps et/ou l’étaler sur une durée de 3 ans. Cette souplesse témoigne d’une vision de la société et du rôle de parent qui va au-delà du genre. En France, ce ne sont que 28 jours qui sont accordés aux pères, pour rappel.
Il y a un pays qui est un peu atypique dans cet axe nord-sud, c'est l'Allemagne. Les stéréotypes et préjugés envers les femmes qui conjuguent carrière et maternité sont extrêmement forts et négatifs. C’est compliqué pour une Allemande de travailler, surtout à un poste de cadre, et d’être mère. Le taux de natalité en Allemagne est très bas avec 1,4 enfant / femme (en comparaison, en France, le taux de natalité est de 1,9 enfant par femme). Il faut aussi noter qu’historiquement, il n'existe pas de structures d’accueil pour les enfants en bas-âge et les parents Allemands ne sont pas spécifiquement accompagnés.
Il est intéressant de benchmarker au-delà de nos frontières, mais force est de constater que chaque pays a son histoire et sa culture. Dupliquer les bonnes pratiques n’est pas si évident.