Droit et innovation font-ils bon ménage ?
Et s’il était possible de réconcilier les entrepreneurs du numérique avec la matière juridique ? C’est le pari qu’a fait il y a bientôt 10 ans Jérôme Giusti, avocat spécialiste en droit de la propriété intellectuelle et des nouvelles technologies, en co-fondant le cabinet « 11.100.34. Avocats Associés ».
En tant qu’avocat, quels sont les premiers conseils que vous donnez généralement à un créateur de startup ?
Que le droit ne doit pas être vu comme un obstacle, mais comme un enjeu économique à part entière. Les jeunes créateurs de startup que je rencontre aujourd’hui font preuve d’une maturité entrepreneuriale remarquable, mais n’ont généralement jamais été confrontés à un problème juridique. Ils voient le droit comme un empêcheur de tourner en rond, et eux, ils sont là pour être disruptif ! C’est une erreur : le droit est une matière mouvante, malléable. Surtout, mieux vaut choisir son cadre juridique plutôt que se le faire imposer. C’était tout le sens du fameux article 1134 du Code Civil de 1804 sur la liberté contractuelle : les contrats tiennent lieu de loi à ceux qui les ont conclus. C’est un principe absolument fondamental ! Voilà la première chose que je m’efforce de faire comprendre aux créateurs de startup. Ensuite, bien sûr, viennent les étapes non-négociables du parcours juridique : la création d’une société, un pacte d’associés bien rédigé, une compréhension claire des enjeux de propriété intellectuelle, de bonnes conditions générales d’utilisation, un bon contrat de travail et un bon contrat client. Et c’est à peu près tout !
Pour un spécialiste du droit, un entrepreneur du numérique est-il un client comme les autres ?
Pas tout à fait. Quand nous avons créé le cabinet, en 2007, il n’existait pas d’offre structurée pour les créateurs de startup. Pour un juriste, accompagner un entrepreneur implique d’être prêt à sortir de sa zone de confort intellectuel. Si un projet est véritablement disruptif, il existe forcément des tensions avec le droit. Il faut donc réfléchir en termes de faisabilité, et pas l’inverse, ce qui est assez inhabituel dans notre profession ! Très tôt, nous nous sommes insérés dans l’écosystème du numérique, en participant par exemple avec The Family à la création du site Jurismatic, où l’on trouve toute la documentation légale nécessaire aux startups en open source. Cela a été un déclic : autrefois, nous vendions des contrats et faisions du conseil pro bono. Aujourd’hui, la démarche est inversée ! Nous avons dû réinventer notre modèle. L’innovation est aussi une réalité pour les métiers du droit.
Innover, cela implique-t-il malgré tout de bousculer les règles établies ?
Oui bien sûr ! Il faut hybrider la contrainte économique et la contrainte juridique : un entrepreneur prend forcément un risque. Il doit pouvoir le mesurer, et prendre les bonnes décisions avec son avocat. En matière d’innovation, nous ne sommes jamais dans une zone blanche de légalité parfaite, mais il ne faut pas pour autant tomber dans une zone noire d’illégalité absolue. Il existe de nombreuses nuances de gris ! Le droit n’est pas qu’un enjeu technique : derrière, il y a de l’éthique et même des choix de société.