« La vie démocratique des entreprises de l'ESS doit être plus délibérative »
Le mode de gouvernance des entreprises de l’ESS doit d’autant plus s’interroger sur son sens que la vie politique vit une crise démocratique sans précédent.
Hugues Sibille, Président du labo de l’ESS est conscient que l’ESS est attendue au tournant. C’est ce qui motive l’ouverture d’un groupe de travail avec 7 entreprises de l’ESS.
Pourquoi avoir formé un club d’entreprise* de l’ESS pour interroger la nécessaire évolution des modes de gouvernance en place ?
Parce que les pratiques des entreprises de l’ESS en la matière peuvent être largement améliorées. Si leurs gouvernances se distinguent nettement de celles des entreprises capitalistiques, dans lesquelles les seuls partenaires qui comptent vraiment sont les actionnaires, cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas se remettre en question. Les entreprises de l’ESS sont attendues au tournant au regard de leurs valeurs affichées. La réussite de ces entreprises tient à la cohérence du triangle : valeurs / statuts / pratiques réelles. Le modèle des entreprises de l’ESS est maintenant reconnu : nous n’avons pas le droit de décevoir. Dans son guide d’amélioration des bonnes pratiques, le Conseil Supérieur de l’ESS a, à juste titre, intégré un volet sur la vie démocratique.
Quels sont les principaux axes d’amélioration ? Quel est le champ des possibles ?
Le principe « une personne = une voix » ne suffit plus à démontrer une vie démocratique réelle. Au-delà du simple vote, c’est un pouvoir délibératif qu’il faudrait maintenant donner aux représentants des sociétaires. Il y a un manque de débat au niveau des assemblées générales d’une grande partie des entreprises de l’ESS. Il faut arriver à réconcilier au sein de ces AG des débats sur des enjeux de société et ceux sur les orientations de l'entreprise. Les sociétaires seraient ainsi plus associés, plus responsabilisés sur les choix. Il serait bon d'introduire des méthodes de démocratie participative dans les AG. Cela sous-entend d’accepter de prendre des risques sans pour autant perdre de vue que l’entreprise doit rester gouvernable.
Donner toujours plus de sens à la vie démocratique des entreprises de l’ESS peut être une exigence difficile à faire vivre mais elle est pour autant vitale. La difficulté à renouveler les représentants des sociétaires en est l’exemple. Pourquoi représenter si c'est purement formel ? L’idée d’assemblées de sociétaires sur des sujets précis dont les membres seraient tirés au sort pourrait être étudiée. Certaines technologies comme les « civic tech »** vont dans ce sens. La vie démocratique des entreprises de l’ESS à l’égard des parties prenantes externes s’essouffle. Renouveler les modes de gouvernance pourrait peut-être permettre de faire progresser les taux de participation aux campagnes de votes pour élire les représentants des sociétaires. On retrouve moins cet essoufflement des gouvernances qui intègrent les salariés, comme dans les sociétés coopératives et participatives où le principe d’« une personne = une voix » fait toujours sens. Par ailleurs, si la gouvernance des mutuelles ou des banques coopératives implique les adhérents, accorde- t-elle véritablement une place aux représentants des salariés ?
À l’inverse, une SCOP implique bien ses salariés dans la gouvernance mais qu'en est-il de ses clients ? Le modèle de la SCIC (société coopérative d’intérêt collectif) pourrait être à étudier dans la mesure où il permet d’associer tant les clients que les salariés, c'est à dire les parties prenantes. C’est sur tous ces sujets que nous avons débuté une série d’entretiens avec les entreprises membres.
Plus généralement, quel regard portez-vous sur la situation démocratique ?
Le modèle est en crise. La déliquescence des partis, l'abstentionnisme, la montée des extrêmes le montrent. Jusqu’à maintenant, il appartenait à la démocratie politique de réguler l’économie. Je crois que le renouvellement démocratique passe aussi par d'avantage de pouvoir direct du citoyen sur l'économie. Les entreprises de l’ESS doivent prendre conscience des changements à l’œuvre pour faire évoluer leurs principes et outils de vie démocratique avec leurs clients, leurs salariés, la société civile,…
(*) Maif, Macif, MGEN, MNT, Chorum, Crédit Coopératif et le Groupe Up.
(**) Technologies, outils, applications, processus qui visent à renforcer le lien démocratique entre citoyens et pouvoirs publics.